Le marais

Publié le par Eric Costan

 ( Photo : Elisabeth Engels )

 

              1

Ce coeur comme un marais

Une roselière matinée d'orties

De ciguës

 

   dans le vide

Entre les saules

Le mai des aubépines trace

         blanc

Le suaire d'un monde diurne

         sec

 

Moi Roi Triton

Ventre bleu et ponctué

Je souffle aux vents d'ouest

Cortèges de bouteilles ensemencées

 

 

              2

 

Dire

       C'est ma vengeance

Avec dans le bas de la gorge

       les babines retroussées

Les canines saillantes du molosse

       aiguisées par la chair du pigeon

Respirer pour laisser fuir le râle

Et sortir du rôle

 

Alors la chlorophylle reprend son chemin

Et l'épervier se coule au dessus des brisées

 

 

               3

 

La première vie se pose

Un cri aigü

Des ailes immenses

Explosent

 

Sous la clôture mon dos se segmente

Et craque

Puis vient le jasmin âpre du cheval

Le rythme lourd à quatre fers

Quinze ans sous sa bonde

Sellée à son ami

Le sourire d'enfant salue de vérité

Ces années de partage

La route est à elle

Moi je passe

Mon berger marche

Douze centimètres sur l'arrière de ma gauche

Quelque chose

       se tord

 

Au marais les phragmites chantent

Effleurées du soir

Souples et inodores

Je foule la chlorophylle entre abeilles et gazouillis

 

Il faut bien remonter

Les plantes goûtent l'asphalte

Celui qui inventa la semelle

Tua la Terre

 

 

              4

 

Au creux du chemin la lumière révèle les âcres

Tombe mon ami

Il n'y a d'amours qu'au hâle des beaux jours

Tes muses sauvages

        cadavres exquis

S'accrochent à tes cheveux

 

Tombe au putride

Écrase ton cuir de vase

Délecte-toi sanglier

La bauge émonde du fou

La bauge immole l'immonde

 

Batifole au bonheur de l'humide

       mêle le cloaque à la menthe

       ta masse aux tiphas

Et sens naître le cri

Il écarte ta cage

       serpente

       éviscère

Puis remonte retenu

Gradation lugubre de celui qui tranche son coeur

 

Le cirse peut fleurir

Le printemps peut finir

Les fées n'ont plus rien à tordre de tes pleurs

 

 

           5

 

Je n'ai ô grand jamais confié au marais

L'âme de mes états

De suite j'y moisirais

       englouti

       digéré

       anéanti

Et ce néant je le présente

Sauvage d'une framboise

Irrésistible à la vie

Grain sous la dent

Infime craquement

 

Valériane

Salicaire

Consoude

Je suis l'aulne

Je suis de sève et de bois

       rouge

Officinal

Couleuvre à la place de l'œil sage

Je fouille un monde primaire

Infiniment mien

 

Je suis

Et j'oublie les cris

 

 

              6

 

Au marais le vent

Prince

Echappe aux mots-clés

Chaque essence compose

Vibre

S'incline à sa levée

 

Et je passe

Tête droite

Main immense sur la courbure des roseaux

Autant de cordes à la caisse claire de mes pas

Au pincement de mes doigts

 

Au glissement du vent

Là-bas

Sur l'infini de vos gris

Il restera peut-être

Ce feutre emporté

 

 

              7

 

Songe d'été

Au solstice rêvé

Tout s'embrase

Au bord des flammes

L'eau lie de sang

Le vin au ponant

Les notes se lèvent

Insomnie des vers

Gitans de mon enfance

Vous

Enfin

Avant l'aurore

 

              8

 

 

Au matin

Le marais me quitte

       asséché

 

On y rentre vide

Il nous laisse évadé

 

Il reste la rivière

Et une savane de brumes

       échouées

 

J'espère

       que c'était moi

 

 

 

 

 

Publié dans Poème

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H
N'y aurait-il que des femmes pour aimer ta poésie ? J'aime certains espaces ouverts par tes mots . Des géodes qu'on doit ouvrir pour en saisir la beauté intérieure . La nature foisonnante , frissonnante qui est notre tout . La nature il faut la servir et non l'asservir et comment mieux le faire qu'avec des rêves d'images ... Merci . Hervé
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E
Non, mais beaucoup. Elle savent que la vie... est belle.<br /> Je suis bien heureux de ton passage ici.<br /> Merci Hervé.
C
Des phrases comme des étoiles filantes *******
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E
Le vent les disperse.
S
Mon commentaire peut s'allonger sur les berges du marais, il peut brouter, grain sous la dent, babines retroussées, et si la couleuvre observe, c'est encore mieux! lire cet ensemble me ramène à mon enfance de rivières, c'est magnifique, tu respires la terre, le végétal, c'est un pur bonheur!! Poète tu es !
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E
Ton commentaire est pur bonheur
S
Le bonheur de se poser ici pour observer, guetter, apprendre et surtout savourer la densité de ta poésie.
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E
Je reviens de chez toi tout ébloui des souffles de la présence.
M
Ce marais est un enchantement Eric , je suis transportée , je vais l'imprimer pour le relire tranquillement sans ordi . Oui c'est mieux sans les 2 premiers vers.
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E
Merci Michèle.
J
Je l'ai relu, pour m'en imprégner, et c'est encore un cran de plus dans le chemin de ton écriture. Superbe, riche d'images, travaillé (au bon sens du terme) et abouti. D'où mon impression que les deux premiers vers contrastent, et (mais cela n'engage que moi) qu'ils peuvent disparaître. Leur apparente facilité fait bizarre quand on lit et relit tout ce qui suit.
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E
Oui Supprimés ces deux vers .<br /> Merci pour ces mots Joëlle.<br />